Rayane Jibre — Harvard College, promotion 2028.

Discours d’Emmanuel Macron à la Sorbonne, 26 septembre 2017.
Élysée, https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2017/09/26/initiative-pour-l-europe-discours-d-emmanuel-macron-pour-une-europe-souveraine-unie-democratique
Une vision pour la France ?
Porté par un goût prononcé pour le risque et animé d’une ambition nouvelle pour la France et l’Union européenne, Emmanuel Macron, encore peu connu du grand public en 2016, tente l’impensable : la course à la présidentielle. En fondant son mouvement En Marche, il renouvelle la manière de faire de la politique en France. Prônant l’intérêt général plutôt qu’une vision uniquement partisane, il appelle au rassemblement de personnalités issues de la gauche comme de la droite. C’est la naissance du fameux « en même temps », devenu l’ADN du macronisme, tantôt pointé du doigt pour masquer un manque de vision claire, tantôt défendu comme l’expression d’une pensée affranchie des clivages idéologiques classiques. À 39 ans, Emmanuel Macron devient, en 2017, le plus jeune président de la Cinquième République, dans une élection marquée par l’effondrement des deux grands partis de gouvernement, absents pour la première fois du second tour. Il se représente cinq ans plus tard pour un second quinquennat et devient, en 2022, le premier président réélu depuis Jacques Chirac. Alors que ce second mandat s’inscrit dans un contexte de remise en cause profonde des institutions démocratiques, nourrie par la montée des populismes et la contestation continue de l’action présidentielle, il paraît aujourd’hui légitime de dresser un bilan synthétique de ces huit années à l’Élysée afin d’en interroger la cohérence et d’en examiner les inflexions, les horizons esquissés pour l’avenir de la France – et, ce faisant, d’évaluer la légitimité des critiques qui lui sont adressées.
Un bilan contrasté
Toutes les promesses n’ont pas été tenues, loin s’en faut. Mais certaines avancées enregistrées sous la présidence d’Emmanuel Macron méritent d’être rappelées à l’établissement de ce bilan.
Sur le plan national, le taux de chômage a atteint en 2022 son niveau le plus bas depuis 20081, grâce au déploiement du plan 1 Jeune, 1 Solution, à des mesures de soutien à l’embauche et à l’activité des entreprises, à un investissement massif en faveur de l’innovation et des startups, ou encore à la réforme de l’assurance chômage engagée en 2021. Résultat : la question du chômage, centrale avant 2017, a presque disparu du débat public en France. Mais cette réussite a déplacé le problème : le défi politique majeur est devenu celui de la précarité de l’emploi. Car malgré une hausse globale du pouvoir d’achat depuis 2017, soutenue notamment par la suppression de la taxe d’habitation, de nombreux français sont confrontés à l’inflation et peinent toujours à vivre de leur emploi, ce qui cristallise aujourd’hui une large part des critiques adressées au chef de l’Etat. Par ailleurs, de nombreux postes créés sont des contrats à durée déterminée ou des emplois à temps partiel subi, ne permettant pas aux travailleurs de sortir durablement de la pauvreté.
En matière de compétitivité industrielle, la baisse des impôts de production, la diminution des prélèvements sur les ménages et le lancement du plan d’investissement France 2030 ont porté leurs fruits : pour la première fois depuis trente ans en France, il s’ouvre davantage d’usines qu’il ne s’en ferme. La réindustrialisation reste toutefois inégale sur le territoire, certaines régions continuant de souffrir de désinvestissement et d’un chômage élevé.
Parallèlement, plusieurs mesures écologiques ont vu le jour : MaPrimeRénov pour soutenir la rénovation thermique des logements, la prime à la conversion pour les véhicules moins polluants, le bonus écologique pour l’aide à l’achat de véhicules électriques ou hybrides, ainsi que la relance, annoncée en 2022, de la filière nucléaire française avec la construction de six réacteurs EPR2. De fait, les émissions françaises de gaz à effet de serre diminuent aujourd’hui deux fois plus vite qu’avant 20172. Là encore, cependant, le bilan reste contrasté. La relance du nucléaire aurait pu être amorcée dès 2017 et ces quelques avancées sont jugées insuffisantes par de nombreux experts et associations environnementales : les objectifs fixés par l’Accord de Paris semblent difficiles à atteindre au rythme actuel, et certaines décisions – comme le maintien de subventions aux énergies fossiles et les dérogations accordées à certains pesticides – sont pointées du doigt pour leur incohérence avec les ambitions écologiques affichées.
Sur le terrain éducatif, plusieurs évolutions peuvent être notées. Plus de flexibilité dans le choix des élèves à travers la réforme du baccalauréat, qui a supprimé les séries et donné l’opportunité aux élèves de sélectionner trois spécialités, permettant davantage de diversité dans les parcours et les opportunités d’orientation. Une égalité des chances supposément accrue, avec le passage du congé paternité de 14 à 28 jours, le dédoublement des classes de CP et CE1 dans les zones d’éducation prioritaires et la mise en place du Pass Culture. Des efforts ont aussi été menés pour revaloriser le statut d’enseignant, avec des hausses de salaire allant de 100 à 500 euros par mois. Le salaire moyen de l’enseignant français reste toutefois en deçà de celui observé dans de nombreux pays de l’OCDE. En 2024, le salaire annuel moyen d’un enseignant du secondaire débutant en France était de 30 935 euros bruts, contre 61 457 euros en Allemagne3. Ce différentiel – du simple au double ! – souligne l’ampleur du chantier : rappelons qu’en 2023, la France se classait dernière de l’UE pour le niveau en mathématiques de ses étudiants de CM14, et en 2024, dernière également en matière de niveau d’anglais. Constat alarmant, dans un monde de plus en plus compétitif et interconnecté.
Un cap assumé face à la pandémie
Après avoir lancé le Ségur de la Santé, qui a permis des investissements massifs dans l’hôpital public et une revalorisation des métiers de la santé, Emmanuel Macron a été confronté à la crise sanitaire et économique la plus grave depuis 1929. Face à cette situation inédite, il fit le choix du « quoi qu’il en coûte » : un engagement sans précédent de la puissance publique pour protéger la population et amortir les effets économiques de la pandémie. Cette politique s’est traduite par des mesures concrètes, telles que la mise en place du repas à un euro pour les étudiants, le renforcement du chômage partiel, le soutien massif des entreprises via les prêts garantis par l’État, et le lancement du plan France Relance.
Ce choix n’a pas échappé aux critiques, notamment des extrêmes, qui ont dénoncé une gestion jugée hésitante, coûteuse et désordonnée. La Cour des comptes a elle-même pointé du doigt l’impréparation de l’État face à la crise, soulignant le « décrochage » du nombre de lits disponibles en réanimation et appelant à repenser leur financement. La gestion de la crise a également été marquée par un recours massif aux cabinets de conseil privés (près d’un milliard d’euros engagés en 2021 !)5, soulevant des questions sur l’efficacité et la transparence de ces prestations. Mais à bien y regarder, que proposaient les détracteurs du Président ? Quelle alternative réaliste aurait pu être mise en œuvre, dans un contexte d’incertitude généralisée et de paralysie mondiale ? Aurait-il fallu livrer la population à elle-même au nom de l’équilibre budgétaire, ou assumer, en pleine tempête, le rôle protecteur de l’État ? Le dilemme était clair : protéger les travailleurs, les étudiants et les entreprises – quitte à accroître la dépense publique –, ou « laisser faire » la pandémie.
Certes, cette stratégie aura entraîné une explosion de la dette publique française (113% du PIB en 2024)6, soulevant des inquiétudes quant à la soutenabilité des finances publiques à long terme. Mais ces conséquences sont la contrepartie logique d’un choix assumé. À situation extraordinaire, réponse hors norme. Celle d’un État qui soutient, qui amortit, qui agit – et qui, ce faisant, témoigne d’une conception forte et exigeante de la solidarité nationale.
Le réalisme politique face aux populismes
Dans le sillage de la pandémie, il n’est guère surprenant qu’Emmanuel Macron se positionne en défenseur de la rigueur budgétaire et engage des réformes en ce sens. La plus emblématique d’entre elle est sans doute la réforme des retraites, qui relève l’âge légal de départ de 62 à 64 ans. Profondément contestée, cette réforme a provoqué de larges mobilisations sociales dans tout le pays, ravivant des tensions déjà apparues lors des Gilets jaunes. Le président présente pourtant cette réforme comme une exigence de responsabilité. Selon lui, il s’agit d’un levier indispensable pour assurer le financement du modèle social français, dans un contexte de vieillissement démographique et d’allongement de l’espérance de vie. À l’instar de nombreux pays européens – y compris dirigés par des gouvernements de gauche – la France ne pouvait, selon l’exécutif, faire l’économie d’un tel ajustement. L’Élysée estime enfin qu’au-delà de sa nécessité, cette réforme serait intrinsèquement juste, dans la mesure où elle tient compte de la pénibilité des métiers, permet des départs anticipés pour les carrières longues ou interrompues pour raisons de santé et vise à préserver l’équité entre les générations.
Mais cette réforme a rencontré une opposition massive. Dès janvier 2023, près de trois quarts des Français s’y déclaraient hostiles. Le recours à l’article 49.3 pour faire adopter le texte sans vote à l’Assemblée nationale a été perçu comme un déni de démocratie, exacerbant le ressentiment à l’égard du gouvernement. Sur le fond, la Cour des comptes a aussi relevé que les effets positifs sur l’équilibre du système de retraites seraient limités au-delà de 2032, interrogeant la pérennité des économies escomptées.
Sur le terrain régalien, Emmanuel Macron a conduit une politique de lutte contre l’insécurité, à travers le recrutement de dix mille policiers et gendarmes supplémentaires et une hausse de 30% du budget de la justice – un effort inédit depuis plusieurs décennies. En matière d’immigration, le président a résisté aux sirènes de l’extrême-droite – refusant une approche fondée sur l’essentialisation ou le rejet. Fermeté à l’égard de ceux qui enfreignent les lois, mais accueil et reconnaissance à l’égard de ceux qui, par leur travail, leurs études ou leur engagement, contribuent au dynamisme de la France.
Un renouveau des relations internationales
Dès son discours de la Sorbonne en 2017, Emmanuel Macron s’est imposé comme l’un des premiers dirigeants européens à porter une vision d’une Union Européenne plus indépendante – sans jamais remettre en question son alliance historique avec les États-Unis. Lucide face aux bouleversements géopolitiques du monde, il s’est engagé en faveur d’une Europe capable de se réinventer, en tissant notamment de nouveaux partenariats avec le bassin méditerranéen et l’Afrique.
Les évolutions récentes des relations franco-marocaines en sont un exemple frappant. Souvenons-nous des années de tensions liées à l’ambiguïté de la position française sur la question du Sahara marocain : pays historiquement ami de la France, le Maroc n’avait jamais caché son incompréhension face à la réserve française à propos du Sahara, « véritable prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international » selon les termes du Roi Mohammed VI. Après que l’Espagne, ancienne puissance coloniale de la région, s’est alignée en 2022 sur le plan d’autonomie proposé par le Maroc (plan déposé en 2007 auprès des Nations unies et considéré comme la seule solution diplomatique crédible à ce conflit), il devint difficilement justifiable pour la France de conserver sa position. Le 30 juillet 2024, par un geste à forte portée symbolique et politique, Emmanuel Macron mit fin à cette ambiguïté historique en affirmant directement au Roi Mohammed VI que « le présent et l’avenir de ce territoire s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine ». Cette déclaration a ouvert la voie à un réchauffement durable des relations entre Paris et Rabat : en octobre 2024, le président français fut chaleureusement accueilli lors d’une visite d’État, scellant la refondation des liens bilatéraux autour d’un « Partenariat d’exception renforcé ».
Le Maroc, partenaire stable et influent, incarne une nouvelle génération de puissances africaines, capables de dialoguer d’égal à égal avec les grandes nations. Ce partenariat « gagnant-gagnant » répond à ce que de nombreux pays africains attendent désormais de leur relation avec l’Europe : ni condescendance, ni nostalgie postcoloniale, mais un dialogue lucide, ambitieux, fondé sur le respect et les intérêts réciproques.
À une période marquée par la montée des extrêmes et le repli identitaire, la France a tout son rôle à jouer en défendant une vision singulière, humaniste, ferme sur ses valeurs, porteuse d’un espoir et d’un idéal pour le monde. Emmanuel Macron a raison de tirer la sonnette d’alarme et d’initier, avec ses homologues européens, une réflexion sérieuse sur l’avenir de la défense européenne. L’Union européenne peut y parvenir, à condition de s’en donner les moyens, et de le faire ensemble.
1. Le Monde, « Le taux de chômage, au plus bas depuis 2008, enregistre une légère baisse au premier trimestre 2022 », 17 mai 2022.
2. Anne-Laure Frémont, « France : les émissions de gaz à effet de serre ont reculé de 2,5% en 2022 », Le Figaro, 3 avril 2023.
3. Vie publique, « Enseignants français : des salaires en stagnation selon l’OCDE », 11 septembre 2024.
4. Claire Lefebvre, « La France touche le fond en mathématiques », Le Point, 4 décembre 2024.
5. Le Monde, « Polémique sur les cabinets de conseil : toutes les enquêtes et révélations », 17 mars 2022.
6. Gilles Boutin, « La dette de la France atteint le niveau stratosphérique de 3303 milliards d’euros », Le Figaro, 21 décembre 2024.